Habiter la mer
Rêver la mer : Naviguer sans relâche vers les confins du Pacifique, Bernard Moitessier trouve son bonheur en pleine mer, poursuivant un voyage qui transcende la simple quête de gloire. Pour lui, la mer n'est pas seulement un espace de liberté mais son véritable foyer, une maison ondoyante sur laquelle il vit des années durant à bord de son voilier, le Joshua. Sa décision de continuer sa navigation en dépit de la victoire imminente dans la première course autour du monde en solitaire de 1968 inspire des générations entières à rêver d'évasion et d'aventures maritimes. L'océan, source perpétuelle de fascination, d'inspiration et de crainte, a toujours attiré l'humanité vers ses profondeurs mystérieuses. La légendaire expédition de Magellan en 1519, qui a ouvert de nouveaux chemins vers les épices en naviguant vers l'inconnu, témoigne de l'audace des hommes face à l'immensité des mers. Vivre en mer signifie explorer sans cesse de nouveaux horizons, une expérience que nous partageons dans ce numéro. À travers les pages qui suivent, embarquez pour un voyage extraordinaire depuis les sombres hivers arctiques à la rencontre des aurores boréales et des orques à bord du Noorderlicht, jusqu'aux aventures de marins sur un cargo naviguant entre l'Allemagne et la Suède. Découvrez également le quotidien sur un voilier captif des glaces islandaises. Vivre en bord de mer, c'est habiter un espace où terre et eau se rencontrent. Aujourd'hui, près de 60 % de la population mondiale réside à moins de 150 km des côtes, soulignant l'importance vitale de ces zones. De Marseille, pivot méditerranéen de la France, à l'île Maurice, symbole de diversité, nous explorons comment les océans tissent des liens indissolubles entre les peuples. Face à la réalité alarmante de la dégradation marine, l'appel de l'écologiste Claire Nouvian résonne comme un cri d'urgence pour la préservation de notre planète bleue. Inspirés par Baudelaire qui proclamait l'amour inébranlable de l'homme libre pour la mer, ce numéro est une invitation à renforcer notre lien avec le monde marin, rappelant l'urgence de protéger ce trésor inestimable. Volodia Petropavlovsky, en sa qualité de rédacteur en chef adjoint, vous guide à travers ces récits, espérant éveiller en vous une passion renouvelée pour les vastes étendues d'eau qui couvrent notre monde.
Face à la Place aux Huiles, depuis le quai de la Rive Neuve, débute une aventure unique : la traversée maritime la plus brève au monde. Seulement 283 mètres séparent le quai du Port de l'hôtel de ville, avec le Ferry Boat, un bateau aux teintes emblématiques de la ville, bleu et blanc, prêt à vous transporter. Ce périple se déroule au cœur du Vieux-Port, étendu le long d'une immense calanque naturelle connue sous le nom antique de Lacydon. Les recherches archéologiques menées après la Seconde Guerre Mondiale ont révélé les vestiges d'anciens quais grecs et romains, ainsi que cinq épaves antiques, parmi les plus importantes d'Europe, désormais préservées et exposées au Musée d'Histoire de Marseille. Depuis le 6ème siècle avant J.-C. jusqu'à l'ère industrielle, les Marseillais se sont principalement établis sur la rive nord, baignée de soleil. Marseille, géographiquement tournée vers la mer et entourée de collines, a longtemps semblé éloignée de l'autorité parisienne, notamment au XVIIème siècle sous Louis XIV, qui tenta d'imposer son contrôle sur la ville rebelle par le biais d'un consulat. Face à une résistance populaire persistante, le roi ordonna le siège de Marseille, conduisant à l'érection de nouvelles fortifications et à la construction du Fort Saint-Jean, symbolisant le désir de surveiller et de maîtriser la cité. Au XXIème siècle, Marseille s'affirme comme une métropole culturelle de renommée internationale, notamment grâce au MUCEM, le Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée. Ce musée, ou plutôt cet ensemble de trois entités réparties sur 45 000 m², a permis aux Marseillais de se réapproprier le Fort Saint-Jean et d'explorer son histoire. Le MUCEM se distingue par sa politique d'accessibilité et de transparence, offrant des visites des réserves au public, une initiative rare en France. Parmi les trésors cachés, la découverte par Henri Cosquer d'une grotte ornée de peintures rupestres du Paléolithique supérieur dans les Calanques évoque l'immense patrimoine sous-marin. Malgré les difficultés rencontrées, cette découverte a enrichi l'histoire préhistorique de la région. Aujourd'hui, la Villa Cosquer, avec sa réplique fidèle de la grotte, témoigne de l'engagement envers la préservation et l'étude de ce patrimoine exceptionnel. Cette réécriture met en lumière l'histoire riche et complexe de Marseille, de ses origines antiques à son statut actuel de centre culturel majeur, tout en rendant hommage aux efforts de préservation et de découverte qui continuent de révéler la profondeur historique et culturelle de la ville.
Dans le quartier de Sainte-Marthe, au nord de Marseille, franchir le seuil de la savonnerie Le Sérail - l'une des quatre dernières fabriques traditionnelles de savon de Marseille - équivaut à pénétrer dans un sanctuaire du savoir-faire ancestral. C'est comme entreprendre un périple immobile à travers le temps et l'espace, guidé par les arômes envoûtants de l'olive. Ces senteurs, qui enveloppent le corps et apaisent l'esprit, évoquent les anciennes savonneries d'Alep, en Syrie, où le savon à l'huile d'olive et au laurier était traditionnellement fabriqué. La tradition marseillaise du savon, enrichie par les échanges culturels des croisades médiévales, s'inspire largement de ces techniques orientales. Daniel Boetto, héritier de la maîtrise savonnière de son père et actuel dirigeant du Sérail, partage l'histoire de cette institution. Transformant une ferme du XIXe siècle en un centre de production moderne, Daniel a grandi parmi les chaudrons et les meules de savon, témoins de l'évolution de Marseille d'un paysage rural à une urbanité dense. Aujourd'hui, la savonnerie Le Sérail, reconnue Entreprise du Patrimoine Vivant par la CCI de Marseille, continue de produire du savon de Marseille authentique en suivant des méthodes artisanales séculaires. À côté de cette tradition savonnière, l'histoire du Pastis de Marseille, incarnée par Cristal Limiñana, illustre une autre facette de l'identité méditerranéenne de la ville. Maristella Vasserot, directrice générale, narre l'ascension de cette entreprise depuis ses débuts en Algérie jusqu'à son implantation à Marseille, où elle perpétue la fabrication traditionnelle du Pastis. Ce spiritueux, élaboré à partir d'anis étoilé distillé, de réglisse et de caramel, incarne le goût de la convivialité et du partage, si caractéristiques de l'ambiance marseillaise. Ces histoires mettent en lumière le riche héritage culturel et artisanal de Marseille, où les traditions perdurent et s'adaptent, témoignant de la capacité de la ville à préserver son identité tout en embrassant le changement. Que ce soit à travers la saponification ou la distillation, Marseille célèbre son passé tout en regardant vers l'avenir, fière de son patrimoine méditerranéen.